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Opinion: Mode de scrutin: une assemblée citoyenne pour une réforme légitime

Updated: Jun 22, 2021



Trois partis au Québec, y compris le gouvernement nouvellement élu, ont promis de modifier la façon dont nous élisons l’Assemblée nationale. Voici le problème : les règles électorales déterminent quel parti formera le gouvernement et différentes règles favorisent différents partis. Laisser les politiciens qui ont remporté la dernière élection choisir le mode de scrutin futur revient à laisser l’équipe qui a remporté le match précédent des éliminatoires choisir les règles pour le prochain : un conflit d’intérêts évident — ce qui explique le récent fiasco de la réforme électorale au palier fédéral.

Même mon fils comprend qu’il ne peut pas choisir les règles d’une compétition entre lui, sa soeur et son frère. (Sa règle préférée ? Quoi qu’il arrive, c’est lui qui gagne.) Une solution potentielle serait un accord unanime entre tous les partis de l’Assemblée nationale. Cette prétendue solution se heurte à deux problèmes. Tout d’abord, nous n’y arriverons pas, précisément parce que toute proposition favorisera certains partis par rapport à d’autres. (Cela étant dit, un désaccord ne devrait pas impliquer l’abandon d’une réforme : après tout, le statu quo ne bénéficiera pas non plus d’un soutien unanime.) Deuxièmement, même un accord unanime de l’Assemblée nationale refléterait les partis pris des politiciens déjà en place.

Une autre solution serait de soumettre la question à la population par un référendum. Mais le premier ministre exclut cette possibilité — peut-être avec raison. Les référendums coûtent cher, peu de citoyens se soucient de la réforme électorale, et moins encore vont lire un traité sur les systèmes de vote pendant leurs temps libres. Un référendum auquel peu de gens voteront et pour lequel encore moins étudieront les avantages et les inconvénients des systèmes alternatifs constituerait un énorme gaspillage d’argent.

Mais sans référendum, comment légitimer une réforme ? Nous avons besoin d’une procédure équitable — un organe neutre, non assujetti aux politiciens, qui évaluera raisonnablement les possibilités.

Une solution en main

Heureusement, les politologues ont une solution en main : une assemblée citoyenne tirée au sort. L’idée est la suivante : tirez au sort quelques milliers de Québécois, demandez-leur s’ils sont disposés à participer à ce processus et, parmi ceux qui acceptent, choisissez par tirage au sort 100 à 200 membres pour siéger à une assemblée autorisée à déterminer le mode de scrutin.

Le recrutement de gens ordinaires pour une telle tâche peut sembler insensé. Des personnes sans expérience ni expertise particulière ne prendraient-elles pas des décisions incompétentes ? Premier fait à noter : ce sont aussi des gens ordinaires qui décident dans le cadre de référendums. Le Canada est par ailleurs un pionnier dans l’utilisation des assemblées citoyennes pour déterminer le mode de scrutin. On a déjà fait recours aux assemblées citoyennes deux fois, en Colombie-Britannique et en Ontario. Les politologues ont étudié les deux cas, qui ont été à de nombreux égards de grands succès. Une fois que les assemblées ont reçu des conseils d’experts sur les divers modes du scrutin et ont consulté le public, leurs membres sont devenus bien informés, et leurs délibérations et leurs prises de décision ont été extrêmement compétentes. Pas de surprise ici : les spécialistes savent bien que, dans de bonnes conditions, un plus grand nombre de participants mène à la sagesse. Les décisions d’une assemblée de gens ordinaires mais divers sont souvent plus intelligentes que celles d’un génie isolé.

Il est vrai que, dans un sens, les assemblées de la Colombie-Britannique et de l’Ontario ont « échoué ». Chacune d’elles a recommandé une réforme finalement rejetée par référendum. (En Colombie-Britannique, 57 % ont voté pour, mais le gouvernement avait fixé un seuil de 60 %.) Cela peut expliquer pourquoi le premier ministre ne veut pas répéter l’expérience. Qui veut dépenser toute cette énergie sans réforme ?

Mais si, plutôt que des politiciens, une assemblée citoyenne décide, nous n’aurons pas besoin d’un référendum. L’assemblée serait représentative des Québécois ; elle ne serait pas en situation de conflit d’intérêts ; elle serait compétente ; et elle ne serait pas redevable aux politiciens. Voilà pourquoi les Québécois considéreraient ses décisions comme légitimes. C’est l’autre leçon qu’il faut tirer des cas de la Colombie-Britannique et de l’Ontario. Plus une personne était renseignée sur l’Assemblée — sur la façon dont étaient choisis ses membres, sur l’absence de toute influence partisane au sein de l’Assemblée, etc. —, plus elle était disposée à voter pour sa recommandation même quand elle en savait peu sur les modes du scrutin alternatif. Elle faisait confiance à l’Assemblée, supposant à juste titre que ses décisions reflétaient ce qui aurait été décidé si tout le monde avait pris le temps d’étudier la question.

Une assemblée citoyenne peut éviter les pièges d’une décision prise par des politiciens ou par un référendum. Nous devrions en établir une pour déterminer le mode du scrutin.

[Réponse intéressante par Jean-Pierre Charbonneau ici]


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